La fin de la viande industrielle ?
Dernière mise à jour : 25 avr.
Les évolutions récentes du marché de la viande pourraient aboutir à la disparition du modèle industriel classique : ce n'est pas forcément une bonne nouvelle.
D'ici 30 ans, nous aurons 10 milliards d'êtres humains sur Terre à nourrir. Se posait déjà la question du comment, mais face aux dérives du système alimentaire et aux préoccupations citoyennes grandissantes, cette même question a repoussé ses propres limites et s'est affinée : comment bien nourrir ces 10 milliards ? Dans cette optique, quid de la viande ? Que l'on l'accepte ou non, la nécessité de diminuer drastiquement notre consommation, voire de la supprimer complètement si elle est industrielle, est aujourd'hui connue de toutes et tous. Ceci s'impose aux niveaux écologique - le modèle actuel est l'une des principales sources de pollution et de destruction de notre monde - et éthique - les conditions intolérables d'élevage et d'abattage ne peuvent être acceptées - . Pour les plus irréductibles, ces arguments ne peuvent venir à bout des aspects culturel et plaisir, voire santé du rôti du dimanche. Le clash des enjeux est inéluctable. Pour tenter de résoudre ce problème, deux dynamiques sont aujourd'hui à l'oeuvre, avec comme objectif de révolutionner le marché de la viande. Nous convions vegans, flexitariens et carnivores à s'asseoir ensemble à table pour cet article.
« Moins de viande est presque toujours plus efficace ... que choisir de la viande durable" Our World in Data
La viande de laboratoire
Le paragraphe qui suit est un synthèse de résumé d'une passionnante enquête de l'écrivain, journaliste et réalisateur français Gilles Luneau, Steak barbare : hold up vegan sur l'assiette. Voici des années que d'importants capitaux financiers irriguent et émanent de la Silicon Valley, USA, pour alimenter les start-up, la recherche, le marketing et l'activisme cherchant via des voies scientifiques et technologiques une alternative au modèle industriel classique. Cette première dynamique explore aujourd'hui deux solutions : la viande artificielle et les substituts végétaux. Ces derniers sont déjà bien connus du grand public : ce sont les steaks de soja, nuggets de blé, knacky de tempeh, steak Beyond Meat, Impossible Food ou Les Nouveaux Fermiers que nous trouvons déjà dans nos supermarchés où nos chaînes de fast food industriel. La viande artificielle, elle, reste bien une protéine animale ou marine où des cellules souches sont développée en éprouvette. Compte tenu de la complexité du processus, les résultats n'ont pas encore été commercialisés (la première dégustation a eu lieu en 2013). Les ambitions de cette première branche sont doubles : supprimer l'élevage industriel et les conséquences qu'on lui connaît (destruction de la planète, ingestion d'hormones et d'antibiotiques, maltraitance animale) ; faire de la start-up qui révolutionnera le marché la nouvelle licorne $$$ de San Francisco. Ils visent à changer le système à partir de l'échelle macro.

La viande Nature
La seconde voie propose un modèle radicalement opposé. Pas de grands bureaux de verre, de matériel de pointeou de fonds émanant de la Fondation Bill Gates ni de jeunes en jeans et Teddy Smith se rêvant les nouveaux Elon Musk ... De ce côté du miroir, vous trouverez de la paille, de la terre, des bottes crottées, des mains abîmées, une connaissance intime de la Nature, de l'animal et une pratique quotidienne du vivant. Face à la cruauté et les dégâts causés par le modèle d'élevage industriel, ces éleveurs et éleveuses ont décidé de réduire leur cheptel et de fournir, en quantité limitée à leur capacité de travail, une viande de très grande qualité, respectant le bien-être animal, la terre, le plaisir et la santé des consommateurs. Ils abandonnent l'uniformisation des races industrielles pour élever et protéger des espèces en voie de disparition, repensent les conséquences de leur métier sur la Nature pour mieux revoir leur modèle, s'éduquent quotidiennement sur le vivant, sur la santé des sols, sur les synergies entre les différents membres de la biodiversité, créent des collectifs, développent des réseaux de distribution locaux ... Ils travaillent chaque jour pour offrir la meilleure qualité possible aux consommateurs tout en préservant le monde dans lequel nous vivons. Ils ambitionnent de changer le modèle à partir de l'échelle micro.

Deux solutions imparfaites
En l'état, aucune des deux voies n'offre de solution satisfaisante. La première offre une solution industrielle à un problème industriel. Il n'existe aujourd'hui qu'une seule étude mesurant l'impact de la viande de laboratoire VS viande industrielle, menée par l'Université d'Oxford, relatée dans le livre de Gilles Luneau et disponible sur la référence scientifique Frontiers.in : selon ses conclusions, la viande de laboratoire est moins polluante que la viande industrielle ... si nous conservons le même niveau de consommation et uniquement dans l'immédiat. Le niveau de pollution se rapproche, voire s'inverse dans certains cas avec le temps. La viande de laboratoire nécessite de l'énergie et de la matière pour construire et faire fonctionner ledit laboratoire. Un steak Les Nouveaux Fermiers compte 16 ingrédients, devant tous être extraits, produits ou synthétisés indépendamment avant d'être reconstitués ensemble. Nous reviendrons dans un prochain article sur les promesses marketing de la fausse viande (moins d'eau et de CO2) : retenons pour le moment que celles-ci instrumentalisent les chiffres de la production industrielle en faisant de ceux ci une référence absolue et ne se prennent pas en compte l'ensemble de la chaîne de production. Aucune entreprise vegan ne propose aujourd'hui de données sérieuses et complètes sur le sujet. Des produits ultra-transformés artificiellement dont l'impact complet n'est pas mesuré ne peuvent constituer une alternative à la viande d'usine.
La seconde voie pose deux risques et un problème. Le premier risque serait de transformer la viande en un nouveau produit de luxe à l'image de la truffe et du caviar, creusant ainsi les inégalités à travers l'alimentation. Le modèle ne proposant qu'une production localisée limitée, à supposer que le niveau de consommation ne change pas, notre filet mignon deviendrait un produit rare, convoité, son prix augmenterait et ne le rendrait accessible officiellement qu'aux plus fortunés faisant de l'alimentation non pas un vecteur de lien, mais plutôt de division. Le second risque serait le développement d'un réseau de distribution et d'une économie souterraine en protestation contre la chèreté de la viande, intensifiant la division créée. Le problème est que cette solution n'améliore pas les conditions de travail de nos paysans. Notre expérience de terrain nous démontre que ceux-ci continuent de trimer jour et nuit presque sans jours off ni vacances afin de pouvoir assurer l'élevage, la production, la maintenance et la qualité de leur viande, tout en s'éduquant sur leur art et en prenant soin de la Nature, avec cette ambition d'essayer de profiter juste un peu des plaisirs de la vie. Un modèle pouvant provoquer de nouvelles divisions tout en maintenant des conditions de vie et de travail non durables ne semble pas souhaitable non plus.
Une troisième voie ?
Malgré leurs faiblesses respectives, chaque modèle présente néanmoins des points positifs. Apparaît alors l'option d'une troisième voie, fusionnant les forces. La solution laboratoire a l'avantage de la précision et l'optimisation permises par la science et la technologie : de nouvelles pratiques, de nouveaux outils peuvent être créés pour mieux cibler et faciliter le travail. La solution Nature possède une connaissance intime et sensible du vivant, sachant ce qui est bon pour les bêtes, les sols et les écosystèmes. Un dialogue entre ces deux univers serait fructueux : la science se met au service du vivant et celui ci lui permet de repousser ses propres limites. Prenons en exemple concret. Greenback est une start up née en 2020 et se veut agence de notation d'un genre bien particulier : elle note la santé des sols agricoles afin d'identifier leur potentiel de productivité. Selon elle, 52% de nos surfaces sont dégradées. Une fois cette information obtenue, ce ne sont pas les techniciens de laboratoire n'ayant jamais travaillé la terre qui pourront la reconstruire au mieux car ils ne possèdent pas l'expertise du sol : ce sont les paysans. Mais leur travail pourra être optimisé et facilité grâce à l'orientation de la science, leur indiquant sur quelles variantes agir exactement. La force technique et scientifique améliorerait les conditions de travail et de production du monde paysan, mais l'implication de ce dernier servirait de garde fou aux dérives industrielles afin que le respect de la Nature et la production de la viande de la meilleure qualité et la moins impactante possible reste la priorité n°1.
Et concrètement, je fais quoi ?
En attendant cette union des forces, nous pouvons chaque jour faire de l'élevage industriel un cauchemar du passé et ramener plus de goût, d'éthique et de plaisir dans nos assiettes :
- Accepter de manger beaucoup, beaucoup moins de viande. Deal with it. Si nous voulons survivre, nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre. La viande est l'un des principaux émetteurs.
- Supprimer complètement la viande industrielle : toute viande de supermarché ou de chaîne de fast food doit être bannie. La viande bio de supermarché signifie seulement que la bête a été nourrie sans pesticides, pas qu'elle a vécu de longues années heureuses dans les champs comme le montrent les images marketing.
- Remplacer les protéines animales par des légumineuses (lentilles, pois chiche, haricots rouges ...) excellentes pour les muscles, la santé, les sols et délicieuses quand bien préparées (recettes à venir sur le site)
- Ne consommer que de la viande fermière lors de vos occasions carnées : bien produite, éthique ... Trouvez des établissements comme Viande & Chef à Paris qui ne se fournissent qu'auprès des meilleurs producteurs ou achetez directement à des meilleurs producteurs, tels que Le Porc Noir de Noémie
- Si la viande reste trop chère pour votre budget, un substitut végétal reste TOUJOURS une meilleure option que la viande industrielle, à condition d'en limiter votre consommation
- Et au restaurant ? Pour vos (désormais rares) occasions carnées, choisissez un restaurant spécialisé qui devrait normalement prêter automatiquement attention à ses approvisionnements. Les étoilés et les bistronomiques ont tendances se fournir auprès de circuits vertueux. En cas de doutes, demandez d'ou vient la viande : si personne ne peut vous répondre précisément sur la ferme, la race, la durée de vie, passez votre chemin. Evitez toujours le tartare et le burger de la brasserie du coin.
Nous rêvons d'un monde où la consommation de viande aura drastiquement diminuée, ou la seule qui restera possible sera limitée, raisonnée, respectant les conditions de vie de l'animal et où l'abattage reprendra sa dimension sacrée où un être nous offre sa vie afin que nous puissions poursuivre la notre, forçant notre respect et notre reconnaissance.